Ovide en Italie médiévale et renaissante
Dans ce nouveau projet de l'ensemble Dialogos (création en 2025), le passé et le présent se croisent dans un labyrinthe inattendu : une chanteuse se laisse porter par son chant vers un espace extatique, hors du temps. Elle y rencontre sa propre voix, récitant les vers des poètes italiens, traducteurs d'Ovide au Moyen Âge, et découvre que la voix, comme l'âme, voyage de corps en corps à travers les temps.
Elle était Ariane, fille du roi de Crète ; elle l'est encore aujourd'hui, hantée par le souvenir de sa rencontre avec le héros athénien Thésée, entre la mer et les oliviers crétois. Ils s'aiment, elle lui donne le fil qui le guide dans le labyrinthe et lui permet de vaincre le Minotaure. Au retour vers Athènes, ils font étape sur l'île de Naxos. Mais au lendemain de la nuit d'amour, Ariane se réveille : Thésée n'est plus là. Où est-il parti ? Pourquoi l'a-t-il abandonnée ?
Les sources textuelles
Fidèle à son fil d'Ariane, Dialogos, par une opération qui relève de l'alchimie, crée, à partir des sonorités médiévales, un langage musical contemporain des traductions italiennes d'Ovide : celles des érudits toscans Filippo Ceffi et Arrigo Simintendi qui au xive siècle traduisent en prose les Héroïdes et les Métamorphoses ; celles également des poètes des générations suivantes, Domenico da Monticello au xive, Giovanni Andrea dell'Anguillara et Lodovico Dolce au xvie, qui adaptèrent ces premières traductions en vers, en utilisant la très populaire ottava rima, forme de poésie improvisée et chantée, transmise par les poètes traditionnels italiens jusqu'à nos jours.
La musique
Dans les salons et académies, lieux de rencontre des premiers humanistes, la musique est très présente. On y interprète des madrigaux arrangés pour voix et accompagnement, on chante la poésie improvisée. Les cantori al liuto, tel Ippolito Tromboncino, mentionné par Lodovico Dolce lui-même, chantent en s'accompagnant au luth ou à un autre instrument. La tragédie Troiane de Dolce est parée de nombreux intermèdes musicaux aujourd'hui perdus, et dont on sait que la musique avait été composée par son contemporain Claudio Merulo, alors organiste de Saint Marc de Venise. La musique de ce dernier est également mentionnée par Cornelio Frangipane dans sa Tragedia (1574), non seulement dans les différents intermèdes ou chœurs en conclusion des actes, mais également pour soutenir la déclamation des textes des différents personnages. Cette musique a aujourd'hui disparu, cependant, les éditions des poésies en musique du 16e siècle, telles que les strambotti, giustiniane ou gregesche, témoignent des liens entre la tradition savante de la polyphonie vocale et ses adaptations faites par des poètes-chanteurs dans les salons humanistes et dans les pièces théâtrales.
Grâce à son exploration des sources musicales entre le Trecento et la première Renaissance, ainsi que des techniques des chanteurs d'ottava rima, Katarina Livljanić et Dialogos par un travail expérimental sur les couleurs vocales et instrumentales, proposent ici une création musicale qui évoque à la fois les trésors des studioli des humanistes florentins curieux de l'Antiquité, tout en portant au public d'aujourd'hui, la plus authentique démarche d'un musicien médiéviste et humaniste - l'art de l'improvisation.
La mise en scène
Le travail scénique s'appuie sur l'identité corporelle des amants et des dualismes qui émanent des textes chantés : parole/silence, ombre/lumière, mouvement/immobilité, tension/détente... Ces duplicités mènent à une tierce réalité – la réalité éternelle du mythe. Dialoguant avec les paysages et projections suggestives de la vidéo, la lumière repose sur un clair-obscur constamment renouvelé.
Dans cette pièce de théâtre chanté, le texte ovidien des Héroïdes, lettres d'amour des héroïnes mythologiques à leurs amants, sort de l'Antiquité pour devenir une histoire de nos âmes et nous invite à voyager vers les labyrinthes intimes de nos propres vies.
Ariane en vie, incarnée par le charisme de Pino De Vittorio et de Katarina Livljanić, dans une mise en scène toute en finesse et poésie signée par Olivier Lexa, est comme une collection de trésors anciens libérés de leur coffre et plongés dans la vie réelle. Notre Ariane n'est pas un objet de musée, comme les mythes ne sont pas des vestiges du passé. Ils disent, pour toujours, le présent. Ils sont la preuve que la vie ne suffit pas, qu'on ne vit vraiment que quelques heures de sa vie.
Katarina Livljanic & Olivier Lexa
Programme avec créations vidéos et surtitrage
Katarina Livljanić, voix, direction
Albrecht Maurer, viola da braccio
Norbert Rodenkirchen, flûtes
Bor Zuljan, luth
et
Pino De Vittorio, voix
Scénario : Katarina Livljanić et Olivier Lexa
Mise en scène : Olivier Lexa
Création et reconstruction musicale : Katarina Livljanić
Arrangements instrumentaux : Bor Zuljan, Albrecht Maurer, Norbert Rodenkirchen
Vidéo : Matko Petrić