Fruits d'une érudite investigation menée par Katarina Livljanić : prières (tirées du Livre de Radosav), incantations (Glava Hr'stova), excommunications (Koli že krešten ne budet), exorcismes (Zaklinam tebe, prinecisti dusce), méditations scénarisent un programme articulé selon une polarité individuelle vie/mort, et plus largement création/destruction. L'itinéraire se structure aussi par des déclamations tirées des sépultures, à la façon d'un choeur antique, nous apprend le livret : une âpre polyphonie dans le style ganga, strié de chromatisme et de microtonalité. (…) Face au quasi-silence des sources quant à la dimension musicale, ces évocations se sont fondées sur les pratiques vocales qui survivent dans l'oralité. Un laboratoire d'où le paganisme n'est pas absent du creuset, et où la spiritualité s'imprègne des vestiges traditionnels.
La variété des sons et des effets sonores (la spatialisation en écho de Bože, davno ti sam legao) concourt à nous plonger dans ce champ de mystères et de symbôles autour des primitives questions existentielles, émanées du terreau balkanique et de sa complexe mais néanmoins fertile dynamique religieuse.
Des sons archétypaux de toute la Bosnie
Musique ancestrales, archétypales, qui résonnent d'une époque lointaine et qui semblent évoquer des rituels d'une sacralité primitive et sans frontière. C'est ici que, comme de coutume, nous amènent Katarina Livljanić et son ensemble Dialogos, explorateurs des répertoires slaves du passé et chercheurs d'une vérité – artistique et spirituelle - qui nous invite sur des chemins semblant inaccessibles et peu fréquentés. (...) L'atmosphère et les sonorités sont celles du peuple, âpres et rocailleuses, ce qui rend l'écoute extrêmement évocatrice ; comme dans le morceau soutenu Kad se duša s tilom dili ou dans la séquence du Dies irae, ici confiée à une mélodie archaïque traditionnelle bosniaque (Dan od gnjiva).
Un tour de force admirable avec une immense dévotion et un amour pour ce pays et son histoire qui a conduit à cet album atypique (…).
(...) Katarina Livljanić scrute les textes dans les différents rituels autour de la vie et la mort, la création et la destruction du monde. Musiciens médiévistes et musiciens traditionnels se sont retrouvés dans cet exercice de laboratoire. De l'évocation des anges aux exorcismes, ils s'inspirent de formes polyphoniques qui existent encore dans les pratiques actuelles. Souvent rugueuse, jouant des contrastes en tous genres (homophonie et mélismes, enlacements de voix et d'instruments), cette musique combine des ambiances saisissantes) dans un discours qui évoque le chœur antique. Un parcours envoûtant.
Issu de la diversité, des coutumes, des langues et des cultes religieux de la Bosnie médiévale, ce projet est conçu comme un voyage à travers les rites (…). L'ensemble combine avec bonheur genres et techniques : incantation litanique où le chant se mue en parole (Glava Hr'stova), alternance d'homophonie et de mélismes, effets dialogués, oppositions de tessitures et de textures (Iskoni bje slovo, Zaklinam tebe), écriture en imitations (Oce nas), enlacements de voix et d'instruments (Koli ze kresten ne budet), chant soliste a cappella (I znamenie velie) ou épique (Pisma od taste slave)… Flûtes, rebec et vièle médiévaux côtoient les traditionnels dvojnice (flûte double) et gusle (monocorde utilisé pour l'accompagnement du chant épique). Les pièces se suivent sans se ressembler, déroulant une narration où le texte est sculpté dans ses moindres détails. Emaillant le discours à la manière d'un choeur antique, des inscriptions funéraires sont interprétées en polyphonie, le plus souvent a cappella, selon l'ancien chant ganga calqué sur le souffle vocal.
Il s'agit ici d'une collection de pièces étrange et tout à fait merveilleuses, inspirée par des inscriptions mystiques sur d'anciennes pierres tombales bosniaques. Inspirée par ces inscriptions, Katarina Livljanić, directrice de l'ensemble Dialogos, a mené des recherches dans les archives de manuscrits bosniaques, croates et serbes dans lesquels elle a trouvé « des vestiges de croyances païennes... souvent imprégnées de l'environnement chrétien. Quel est le son de cette musique ? Sans surprise, il est dépouillé et mystérieux, mettant en scène des voix solistes, parfois des instruments traditionnels, ou d'autres fois des voix multiples dans une harmonie âpre. Certaines sonorités seront familières pour l'auditeur imprégné de musique liturgique orthodoxe d'Europe de l'est et le connaisseur de la musique populaire de cette même région, mais je peux vous promettre que ce disque dans son ensemble ne ressemble à rien que vous ayez jamais pu entendre.
Une Bosnie médiévale surprenante, riche de ses traditions et religions à la fois catholiques, orthodoxes, chrétiennes bosniaques hérétiques, juives et musulmanes pour Katarina Livljanić – chanteuse, médiéviste et créatrice de Dialogos. Partis d'anciennes inscriptions funéraires (stećci) où les morts s'adressent aux vivants dans une formule lapidaire et d'incantations recueillies de manuscrits bosniaques, croates et serbes, les musiciens imaginent un récit peuplé d'« Anges hérétiques ». Dialogos retrouve d'ailleurs le non moins expert chœur croate Kantaduri, avec lequel il avait enregistré des chants de l'Adriatique (CD Dalmatica, 2016), ainsi que Jure Miloš, chanteur et joueur de plusieurs instruments traditionnels à cordes. Les voix typées de Kantaduri, gutturales et polyphoniques, avec d'impressionnants effets dissonants (ganga) donnent de l'intensité à ce chant mystique venu du fond des âges. Une « expression directe, parfois rugeuse (…) habitée par une multitude d'anges, bons, mauvais ou déchus » que Dialogos associe à une seule voix de femme, celle de son illustre fondatrice, portée par les flûtes de Norbert Rodenkirchen et le rebec d'Albrecht Maurer. Avec Dialogos, le temps médiéval se recompose à l'infini.
Les sources médiévales s'entremêlent avec des mélodies traditionnelles et anciennes, restituées grâce à la connaissance approfondie de ce répertoire de Katarina Livljanić. La diversité des répertoires musicaux, la rare cohérence de la proposition artistique et l'étroite cohésion conceptuelle du programme surprennent, parcourant les différentes pièces comme s'il s'agissait d'un récit.
Un nouvel opus dans la discographie unique de Katarina Livljanić, qui tire ici parti de la collaboration avec l'impressionnant ensemble vocal traditionnel Kantaduri, dirigé par le non moins extraordinaire chanteur Joško Ćaleta.
L'énergique Katarina Livljanić et son ensemble Dialogos (dont le concert présentait des anciens épitaphes de Dalmatie et Herzégovine dans lesquels les morts parlent aux vivants, présenté dans un mode théâtral simple) (…). Tous avaient en commun l'absence d'artifice, redonnant à la musique le premier et le dernier mot.
« J'ai terminé la journée avec un concert spécial - ou plutôt une performance - de l'ensemble Dialogos, dirigé par Katarina Livljanic. L'ensemble s'intéresse principalement à l'histoire musicale des Balkans, mais, ce n'était pas, ici, seulement de la «musique ancienne», comme Katarina Livljanic l'a souligné en introduction (…). Cette musique diffère grandement de ce que nous considérons comme «musique ancienne» en Europe occidentale, à la fois en mélodie et en harmonique (…). Katarina Livljanic avait (…) choisi un cadre théâtral et cela a créé une expérience extrêmement fascinante, dans laquelle les paroles ont occupées l'espace. Si vous aviez été là, vous auriez été aspiré dans les expériences spirituelles des chrétiens de Bosnie. Les textes ont été projetés sur le mur; c'était essentiel pour en comprendre le sens. Nous n'avons pas à parler de «l'interprétation». Vous étiez en fait à la source: les chansons traditionnelles ont été chantées par Kantaduri, un ensemble qui traite de traditions musicales avec lesquelles les chanteurs ont eux-mêmes grandi. »
« une méditation fascinante sur la mort conçue par la chanteuse et spécialiste Katarina Livljanic… Dans une danse entre morts et vivants, la musique a dû être recomposée, en utilisant des manuscrits médiévaux et la tradition orale, et des instruments dont le rébec, le gusle et le dvojnice. Les chants eux-mêmes sont musicalement vigoureux, particulièrement dans le style ganga, un style polyphonique extrêmement dissonant venant de l'arrière pays dalmate… un rituel alternant des chants solo et des interludes chantés par un choeur, avec une mise en scène de Sanda Herzic qui utilise efficacement les allées de la chapelle et le choeur. La voix pure de K. Livljanic avait un pouvoir incantatoire, en particulier dans une lecture du Livre de la Révélation, et il y avait une énergie dans le chant de Kantaduri qui contrastait avec leur posture monacale… »
« Le résultat est époustouflant. (…) La partition, composée sur la base de notations musicales fragmentaires enrichies d'un folklore toujours vivace, révèle une démarche cohérente et d'une radicale originalité. Impressionnante dans sa sobriété, qui exalte un clair-obscur étoffé par le splendide travail des lumières, la composition insiste sur les contrastes entre voix d'hommes et de femmes (…). Mystique moins cérébrale qu'organique, illustrée par les voix puissantes à la respiration profonde, dans la tradition orthodoxe, des chanteurs du choeur Kantaduri, alternant riches polyphonies et incantations sauvages. Entre choeur d'hommes grondant et claire voix de femme, le dialogue se noue avec solennité, pudeur et dignité. »
"La grandeur des Anges Hérétiques ne réside pas dans une présentation d'une heure de langues anciennes, de croyances, de mantras et de musique. Son importance réside dans le fait que la spécialiste de musique médiévale Katarina Livljanic, son ensemble Dialogos et l'ensemble Kantaduri ont essayé - et très bien réussi - à conduire le public au commencement même de l'humanité."
"Mme Livljanic a créé une épopée de magie et de révélation. C'était le grand philosophe français Antonin Artaud qui écrivait de manière si expressive sur le théâtre en tant que magie – gestes magiques, mots magiques et musique de la terre. Il utilisait comme exemple le théâtre balinais, qui précède à la fois l'Hindouisme et l'Islam. K. Livljanic a créé une religion liturgiquement antédiluvienne. Et ceux d'entre nous touchés par son sort extatique ont entraperçu un peu du Souffle Divin qui bat silencieusement en chacun de nous."
Tel Atlas portant le monde, la voix de basse de Milivoj Rilov dont le bourdon et le timbre typiquement slaves offrent une richesse incommensurable d'harmoniques, élève les voix balkaniques de Josko Caleta, Niko Damjanovic et Srecko Damjanovic au sommet – ces voix nées de la rencontre entre les plus fines subtilités des inflexions orientales, la profondeur des harmoniques slaves et l'agilité chaleureuse des voix méditerranéennes. Seule voix féminine, Katarina Livljanic dédie pleinement son chant prosodique à l'émotion incantatoire qu'elle puise dans l'antre des grimoires du Moyen-Âge tardif et de la Renaissance. Finalement, contraste des plus saisissants, Jure Miillos chante – s'accompagnant de la gusle – la toute-puissance de la voix aigüe et gutturale qui n'est pas sans évoquer l'intensité vocale si chère à la tradition ottomane.
Comment ne pas être saisi par ces Anges hérétiques de Diiallogos & Kantadurii venant prodigieusement panser la clef de voûte de l'Orient et de l'Occident – origines de la civilisation balkanique – perdue dans les limbes de l'oubli.
Comme tous les projets de Katarina Livljanic, le programme "Les Anges Hérétiques" n'est pas un concert ordinaire de musique ancienne, mais un spectacle mûrement créé qui touche les oreilles, les yeux et l'âme du public d'aujourd'hui à travers des textes médiévaux. Les voix s'entrechoquent et se brisent, rudes comme des montagnes rocailleuses, comme des âmes qui crient, tiraillées entre la vie et la mort, la terre et le ciel, le temps et l'éternité. La séquence "Dies irae" chantée en langue archaïque à la manière traditionnelle bosniaque, est à vous glacer le sang.Tout est extraordinaire dans ce programme. Katarina Livljanić, Dialogos, Joško Ćaleta, Jure Miloš et Kantaduri nous rappellent un monde primitif, originel, rude, mais non moins important, fort, beau et émouvant : il est porté par une musique et une langue d'une sagesse supérieure. Ces musiciens ont réveillé et bouleversé de nombreuses âmes.